
Propos recueillis par Olivier Jayet de Canada-Suisse
C’est en 1973 que fut fondée la Maison AMSTEIN SA. D’abord modeste entreprise locale, elle crût rapidement jusqu’à atteindre une portée nationale. Aujourd’hui son réseau de distribution de bières importées du monde entier couvre densément toute la Suisse.
La passion
Dans les années 60, son fondateur, Jacques Amstein, fut l’un des premiers à croire au potentiel des « bières du monde » en Suisse. Passionné par la richesse de la culture brassicole étrangère, il s’attela à la tâche titanesque visant à intéresser les Suisses aux styles et types différents existant en dehors de nos frontières et ainsi à modifier peu à peu leurs habitudes de consommation. L’importation de bières s’avéra très vite un succès, les spécialités étrangères devenant à la mode. Le consommateur y gagna comme toujours dans ces cas, voyant son choix s’accroître et son horizon se diversifier.

Dans cette croisade, la Maison AMSTEIN SA dut lutter contre des habitudes bien ancrées et des réglementations rigides. C’est ainsi que l’ordonnance sur les denrées alimentaires stipulait qu’une bière devait nécessairement être limpide, ce qui excluait de la distribution en Suisse les bières non filtrées et par conséquent troubles !
La Belgique comme point de départ
Dans sa quête des goûts et des saveurs les plus variées et les plus authentiques, Jacques Amstein s’intéressa tout particulièrement aux bières belges. En effet, il subsiste en Belgique une tradition brassicole unique du fait de la richesse de ses styles et de ses genres. C’est cette diversité extraordinaire qu’AMSTEIN SA fit découvrir aux consommateurs suisses : les bières authentiques des Pères trappistes, les bières de froment non filtrées, les bières à fermentation spontanée, etc. …
Mais la Maison AMSTEIN SA ne s’arrêta pas à la Belgique : toujours à la recherche d’une perle rare, elle inclut dans son assortiment les plus grandes bières d’Allemagne, de France, de Grande-Bretagne, du Mexique, des États-Unis, du Canada et de bien d’autres pays encore…
Tradition et modernité
Toujours prête à découvrir des nouveautés, AMSTEIN SA n’hésite pas à lancer de nouvelles marques, tout en défendant l’authenticité des bières produites avec amour. C’est la raison pour laquelle l’entreprise dégage une image aussi polyvalente : celle à la fois de la gardienne de la tradition et de porte-parole de la modernité.
La Maison AMSTEIN SA se veut « L’Ambassadeur de la Bière ». Par son engagement et sa philosophie, inaltérés depuis le début, c’est un titre qu’elle mérite pleinement.
JACQUES
Tu es à l’origine de cette magnifique « success story ». D’où vient ta passion pour la bière ?
C’était plutôt inné. Lors de mon apprentissage sur les chantiers, on buvait beaucoup de bières. Puis, je suis parti en Suisse alémanique et désormais, le choix de bières devenait plus étendu. J’étais intéressé à déguster systématiquement des bières différentes. Puis, à mon retour, j’ai fait connaissance d’un gars à Châtel St-Denis qui importait des bières belges. J’ai trouvé ça extraordinaire. Ce même gars venait de faire faillite. Mais, j’étais très intéressé à faire la connaissance de ses fournisseurs en Belgique. Imagine-toi, tous les cinquante kilomètres, il fallait s’arrêter pour déguster une nouvelle bière. J’avais à peine 24 ans. En fait, mon gars allait négocier sa dette auprès de ses fournisseurs en faisant croire que j’étais celui qui allait payer sa dette. Très rapidement, je me suis rendu compte du pot aux roses et ai décidé de partir seul dans cette aventure. J’ai commencé à promouvoir ces bières belges dans un petit café que j’avais en territoire fribourgeois et me suis fait un réseau de clients. De plus, alors que j’étais monteur dans une entreprise d’automates pour une entreprise zurichoise, obtenant ainsi un franc succès, j’ai proposé de créer une succursale qui soit créée en Suisse romande. Le chef de vente, touchant des royalties sur mon travail, se crut malin de dresser contre moi une page A4 de reproches totalement inexistants, sauf sur un point ! Il pensait que je cherchais à me mettre à mon compte. Je lui donnais raison et je décidais de me mettre à mon compte.
Pourquoi avoir créé la maison Amstein ?
Cela part de mes débuts dans les distributeurs automatiques à boissons. Les premiers mois furent très compliqués pour moi. Je n’avais quasiment pas de fonds. Quant aux banques, inutile de pouvoir compter sur elles. 1973, crise du pétrole. J’ai pris conscience qu’il me serait plus facile de vendre des bières que des automates. J’exploitais toujours mon petit bistrot. J’ai donc décidé de le vendre, ce qui m’a permis de créer un fonds de commerce afin de démarrer ma petite entreprise. Mon premier dépôt se situait dans la grange de mon père et l’atelier à l’écurie de la maison familiale. Mais c’était bien évidemment peu pratique. J’ai trouvé un petit local à Vevey. La concordance entre le personnel qui œuvrait dans la technique et celui qui s’occupait des boissons ne fonctionnait pas bien. C’est alors que j’ai décidé de séparer l’aspect technique des boissons en lançant Tout-O-Mat.
La réussite étant au rendez-vous et les locaux devenant toujours trop petits, j’ai décidé après quelques années d’acheter un immeuble à la rue Gilamont. Mais au bout de 6 ans, j’empilais les fûts de bières sur la route. Après le rachat d’entreprises dans le domaine des boissons dans la région veveysanne, il fut décidé, en 1992, d’acheter un terrain pour construire un magasin-dépôt à St-Légier-sur-Vevey. Dès lors, l’objectif prioritaire était pour moi de surprendre les gens en promouvant les bières belges. J’étais en moyenne deux fois par mois en Belgique pour découvrir de nouveaux fournisseurs. Pour la plupart des brasseurs belges, j’étais leur premier client à l’exportation et a fortiori, le premier en Suisse à vendre de la bière belge de haute qualité.
La Belgique fut le point de départ de ta quête des goûts. Raconte-nous ta relation d’amitié avec ce pays qui t’a nommé en 1998 chevalier de Droit de la confrérie du Fourquet des brasseurs de Belgique. Premier de l’histoire, n’étant ni brasseur, ni belge. Puis, qui t’a décerné en 2018, la Croix de commandeur de l’ordre de Leopold II de la Belgique.
C’est un ami belge qui m’a parrainé pour rentrer à la chevalerie du Fousquet des Brasseurs belges, en qualité de chevalier d’honneur, ce qui m’a permis d’être réellement reconnu parmi les innombrables brasseries belges. Mais surtout, c’est un réel plaisir de faire partie de cette honorable corporation.
Quant à la Croix de commandeur de l’ordre de Leopold II de la Belgique, elle lui fut remise en personne par l’ambassadeur de Belgique représentant officiellement la main du Roi du Royaume de Belgique, ce en août 2013 lors du quarantième anniversaire de la maison AMSTEIN.
Wittekop est la première bière blanche de froment à rafraîchir les gosiers suisses. Authentique et non filtrée, elle est née en Belgique pour la maison AMSTEIN. Pourquoi cette bière à ton effigie a-t-elle été conçue ?
Elle est née en Belgique. C’est la première bière blanche qui est rentrée en Suisse. À l’origine, je me suis dit que cette bière de haute qualité pourrait sans autre convenir à tous les gens qui n’apprécient pas les bières amères et corsées et notamment à la gent féminine. Après des recherches à l’office de la propriété intellectuelle de Berne, je me suis aperçu que le nom « Wittekop » n’était pas protégé. Et ensuite, il a fallu modifier l’étiquette qui était d’origine belge. C’est ainsi que mon graphiste eut l’idée d’immortaliser ma moustache comme effigie, ce en plus de trois charmantes femmes se délassant en bord de mer. Cette bière obtient un très beau succès d’estime parmi nos clients, mais néanmoins conscient que la maison AMSTEIN se doit de privilégier les bières de nos principaux fournisseurs.
Pour fêter le jubilé des 35 ans (2008) de la maison AMSTEIN, tu invitas en grande pompe l’ambassadeur du Canada pour la Suisse de l’époque, Monsieur Robert Collette. Quels étaient tes rapports avec le Canada ?
Robert Collette était venu nous trouver à l’entreprise et m’avait invité à déjeuner. Nous avions notamment évoqué les JO pour lesquels la Suisse était candidate. Et j’avais gardé un formidable contact avec lui, car il était conscient que la maison AMSTEIN vendait certaines bières canadiennes, notamment la gamme Unibroue élaborée par le célèbre chanteur québécois Robert Charlebois, à savoir la Blanche de Chambly, la Trois-Pistoles, la Fin du Monde, la Maudite, pour ne citer que les plus connues.
Cela me rappelle également que ce même Robert Charlebois avait pris contact avec notre dépôt lors du festival « Pully Lavaux à l’heure du Québec », car il était très surpris que les organisateurs n’aient pas privilégié ses bières durant cet événement. Sans coup férir, j’ai rempli ma Cherokee de l’époque des bières Unibroue pour les livrer à Robert Charlebois, bières qu’il paya de sa poche et qu’il offrit à ses amis et hôtes lors de ses concerts, provoquant l’ire des organisateurs de ce festival, me considérant comme « persona non grata ».
YAN
En quelle année as-tu repris le flambeau de la maison AMSTEIN ?

Il n’y a jamais eu de reprise officielle de flambeau, cela s’est fait naturellement dans une relation père-fils, il y a une quinzaine d’années. La philosophie de mon père, qui est devenu depuis lors la mienne est la suivante : la place on la gagne, on ne vient pas avec un titre. Souvent les titres c’est pour les gens qui ont un complexe dans leur vie. Et ce n’est pas un titre qui fait la force, mais son investissement personnel à la réussite d’une entreprise. Mon père a toujours dit : je ne nomme pas de chef, on le devient !
Je suis très impressionné par ta connaissance universelle des produits brassicoles. D’où vient cette incroyable passion pour le monde de la bière ?
Depuis ma plus tendre enfance, je suis mon père dans les brasseries, de même que chez les fournisseurs. De fait, j’ai emmagasiné des discours, des réflexions autour de la bière. Et puis, j’ai toujours considéré mon père comme un exemple et c’est tout à fait naturellement que j’ai voulu suivre sa voie. Jeune adolescent, je suis allé dans les brasseries en Allemagne, me permettant également d’apprendre la langue de Goethe. D’ailleurs à l’âge de 12 ans, j’ai fait mon premier exposé sur la bière à l’école, subjuguant mon institutrice.
La dégustation proprement dite est venue plus tard pour moi. Dans les années 90, les gros groupes brassicoles rachetaient leurs concurrents et mon père s’est retrouvé dans cette tornade. Que faire ? Mon père et moi-même avions deux caractères forts, de telle sorte que nos visions sur l’entreprise ne se rejoignaient pas toujours. Mes stages à l’étranger et notamment en Angleterre, m’ont permis de prendre conscience qu’il était nécessaire qu’AMSTEIN offre une gamme plus large des bières européennes, l’entreprise étant par trop focalisée sur les bières belges. Et ainsi de fil en aiguille, des bières d’autres pays, d’autres continents firent leur apparition dans notre assortiment. Dès lors, je me suis passionné, non seulement pour les bières elles-mêmes, mais également pour leurs diversités brassicoles. Le train était désormais en marche, ma voie était toute tracée. Mon père et moi-même avions la même vision sur le marketing de notre entreprise. Ce n’était pas le Benchmarking à grande échelle qui nous intéressait, mais bien d’obtenir l’avis de nos clients sur telle ou telle nouvelle bière en offrant ces nouveaux produits à la dégustation. De nos jours, nous pratiquons toujours cette façon de faire et nous en sommes particulièrement fiers. Nous nous considérons comme des créateurs de tendances. C’est devenu la philosophie de l’entreprise.
En quelle année la maison AMSTEIN a-t-elle introduit dans sa gamme de produits les bières du Canada ?
Dans les années 90, lors d’une foire de la bière à Strasbourg, en Alsace, mon père avait improvisé un petit stand avec son ami Charles Fontaine, journaliste et écrivain. Et là, le chanteur Robert Charlebois venait faire la promotion de sa bière de Chambly. De plus, mon père avait gagné un concours lui offrant 2 billets aller et retour pour Montréal. Donc logiquement, il se rendit à Chambly pour y rencontrer la direction d’Unibroue, en n’omettant pas de participer à la fête de la bière à Chambly. Le tour était joué et depuis lors, nous commercialisons cette gamme de produits chez AMSTEIN. Depuis lors, Unibroue a été rachetée par les Japonais et cela devient plus compliqué au niveau du marketing.
Le succès est-il toujours au rendez-vous avec les bières du Nouveau-Monde ?
Oui et nous développons d’autres marques du Canada. Lors de la Canada Day organisée par l’ambassade du Canada à Berne, ce 29 juin 2023, nous avons eu le privilège de livrer des bières de l’Ontario qui furent servies à tous les convives lors de cette fête.
Penses-tu accroître à terme le choix des bières canadiennes ?
Oui. Plusieurs pistes sont en cours, ce pour notre plus grand plaisir. Nous avons la chance d’avoir tellement de connaissances au Canada et en Suisse pour développer un marché encore plus important. Mais actuellement, tout ce qui transite par l’Europe est compliqué pour les raisons que tout le monde connaît.
En 2020, le COVID est passé par là. Quelles en furent les conséquences immédiates pour la maison AMSTEIN ?
Financièrement, ce fut la douche froide immédiate. Il nous a fallu opérer un virage à 180 degrés. Les hôtels et restaurants qui représentaient la grande majorité de notre chiffre d’affaires furent fermés en raison du COVID. Une chute de 74% de notre chiffre d’affaires en découla. Que faire ? Rebondir dans les meilleurs délais a été salutaire pour AMSTEIN. Nous avons développé la vente par internet (E-shop) et un drive-in pour nos clients avec la possibilité de retirer les commandes directement dans nos magasins. Cela nous a permis de passer cette période avec un minimum d’encombres.
La maison AMSTEIN est devenue incontournable pour la promotion des bières de haute qualité du monde entier sur territoire Suisse. Imagines-tu encore une progression dans ce domaine ?
Mon père et moi-même sommes parfaitement conscients que la gamme qu’AMSTEIN offre à sa fidèle clientèle est largement satisfaisante en l’état. Nous venons de racheter la maison MOSCA Vins pour étendre notre palette de produits dans le domaine des vins.
Et puis, en cette année 2023, nous fêtons les 50 ans de la maison AMSTEIN en grande pompe, ce afin de fidéliser notre merveilleuse clientèle.