L’EXTRAORDINAIRE AVENTURE HUMAINE DES BISSES DU VALAIS

Propos recueillis par Olivier Jayet de Canada-Suisse

Quelques informations utiles en avant-propos de mon article.

Les bisses sont les canaux d’irrigation historiques du Valais. Un bisse est une tranchée ouverte qui achemine l’eau précieuse des torrents – non sans quelque acrobatie – jusque dans les prairies et champs secs, les vignobles et les vergers. Nombre de bisses sont encore utilisés de nos jours et soigneusement entretenus. Bien des sentiers de randonnée qui longent ces canaux historiques invitent à des promenades variées sur des chemins historiques.

Le Musée valaisan des bisses s’est installé à Botyre en 2012.

Le Musée valaisan des Bisses a fêté ses dix ans d’existence en 2022. Né en 1983 sur l’impulsion d’Armand Dussex, il s’installe dans un petit local sur la place du village à Anzère. En 2012, le Musée prend de l’ampleur et se déplace à la Maison peinte de Botyre (Ayent), une magnifique bâtisse du 17e siècle, classée monument historique dont le 400e anniversaire a été fêté en 2021. Le petit « Musée des bisses» devient alors le Musée valaisan des bisses et s’organise de manière professionnelle. Il est reconnu d’importance cantonale en 2020.

  • 2013
    Création du Chemin du Musée
    Exposition Les Bisses au Restoroute de Martigny
    Participation au Festival international du livre de montagne à Arolla
  • 2017
    Les Bisses, patrimoine intemporel au Musée des sciences et de la Terre
    Les Bisses, découverte d’un patrimoine au Musée Art et Collections à Montana
  • 2018 Journée de l’eau aux Iles à Sion
  • 2019
    Participation à la Fête des Vignerons de Vevey avec le bisse mobile
    Participation au salon Passion nature au CERM de Martigny
    Le Bisse d’Ayent illustre le nouveau billet de CHF 100.-
  • 2020
    Restructuration du Bisse d’Ayent
    Le Musée est reconnu d’importance cantonale par l’Etat du Valais
  • 2021 La Maison Peinte fête ses 400 ans

2022
Dépôt du dossier de candidature UNESCO

Gaëtan

Quelles ont été tes motivations pour avoir accepté la direction du Musée valaisan des bisses ?

2012 c’est le début du Musée valaisan des Bisses dans la maison peinte rénovée dans les années 90-99 par la commune d’Ayent. Mon prédécesseur a proposé de créer un musée des bisses à dimension cantonale. 

En ma qualité d’ethnologue et biologiste, j’ai repris les rênes du musée en 2015 comme responsable scientifique et directeur. C’est un job fabuleux au niveau des travaux de recherche, mais assez contraignant pour ce qui concerne la recherche de fonds pour faire vivre ce musée.      

 Dès lors, je me suis fixé des périodes 5 ans afin de voir si j’ai toujours l’envie et la motivation. C’est ma 9e saison actuellement. Avec bonheur, je vais rempiler pour 5 ans. On est reconnu d’intérêt cantonal. Et puis, il y a actuellement un thème majeur autour des enjeux environnementaux, de gestion de l’eau par rapport à la disparation des glaciers ainsi que du changement climatique. Depuis le temps des Romains, on vit la 4e génération de la construction des bisses avec la région de Saint-Luc qui refait ses bisses. Et je me dis qu’il y a un grand intérêt à poursuivre mon travail.

Comment expliques-tu cet engouement pour les Bisses du Valais ?

Beaucoup de pays de montagne ont aussi des canaux d’irrigation (Peuples amérindiens, Maroc, Espagne, Autriche, Népal) En 1936, à la suite de la destruction du bisse de Torrent Neuf à Savièse qui devenait trop dangereux, une levée de boucliers de la part des Valaisans s’ensuivit, qui coïncida avec le début d’une large prise de conscience patrimoniale. Les bisses, c’est 600 ans d’histoire. Depuis les années 60 et 70, le développement du tourisme en montagne devient un atout supplémentaire pour les balades sur les canaux d’irrigation. Dans les 2000, il y a un enjeu scientifique autour de l’étude des bisses. Depuis 2019, le billet de 100 francs suisses a bien évidemment rajouté une symbolique forte autour des bisses.  

Les bisses sont-ils une spécificité valaisanne ?

Le mot bisse est bien évidemment valaisan. Il y a d’autres cantons qui ont des irrigations traditionnelles. Le Tessin a quelques canaux. Mais, Il faut distinguer la montagne et la plaine qui ne sont pas tout à fait les mêmes enjeux. En Valais, il y a encore 200 bisses encore en activité. Il y avait 700 dans l’histoire. Et puis, il y a le savoir-faire technique, notamment le travail du bois et de la pierre. Enfin, c’est de les avoir gardés actifs pour l’agriculture, alors que les autres pays les ont abandonnés.

Les bisses irriguent-ils toujours les terres agricoles ?

Il y a un chiffre assez important. Les trois-quarts des terres agricoles sont encore irrigués par les bisses. 

Existe-t-il des règles à respecter impérativement entre les différents acteurs ?

On a des témoignages du 13e et du 14e siècle où l’on coupait les mains de ceux qui dérivaient les eaux du bisse. Des conflits ont toujours existé. L’histoire des bisses et l’histoire de l’eau, c’est une histoire de conflits et surtout de résolutions de conflits autour de la gestion de la ressource. Avec les questions environnementales et le changement climatique, des conflits vont inéluctablement voir le jour avec la raréfaction de l’eau. 

Le changement climatique a-t-il une influence sur la gestion de l’eau des bisses ?

Le réchauffement climatique se manifeste en deux temps sur les bisses. En premier lieu, les glaciers fondent et génèrent plus d’eau dans les bisses. Dans un deuxième temps, il y a déjà des rivières qui ne sont plus alimentées par les glaciers et là, on commence à voir des sécheresses. Pendant l’été il n’y a plus à plus d’eau dans les bisses qui commencent à souffrir. Et qui dit bisses dit rivières d’origine qui souffre en amont. Et la rivière, c’est l’alimentation de l’eau potable, de l’eau des agriculteurs, de l’énergie et de la biodiversité. 

Qu’est-ce que sont les consortages et en quoi consistent-ils ? 

Il faut s’imaginer des corporations paysannes issues du 14e siècle. A l’époque, Il n’existait pas de propriétés privées ni de communes encore moins de cantons. Ce sont des seigneurs et des évêques qui dirigent le Valais. Afin d’éviter de devoir toujours résoudre des conflits, ceux-ci ont donné les droits d’utilisation de l’eau à des corporations paysannes. Alors, on parle de droit d’usage d’une ressource, soit de l’eau, d’alpages ou de forêts. Il s’agit d’une entité juridiquement reconnue depuis 1912, mais qui date du moyen-âge. Ce sont les plus vieilles sociétés qui existent en Valais, ce sont les consortages, bien avant les bourgeoisies et les communes. En Très résumé, on pourrait parler de coopératives où les utilisateurs se mettent ensemble pour gérer les ressources de l’eau. Du coup, il y a des droits de l’utilisation de la ressource et des devoirs de respect du règlement et d’entretien des bisses. 

Parle-nous de l’emblématique bisse d’Ayent ?

Un bisse du moyen-âge datant de 1448 qui a nécessité un savoir-faire incroyable du travail de bois. Il représente avant tout une aventure humaine en termes de compétences de construction de bisses. Le barrage de Tseuzier s’installe en 1956. Négociations ! La commune voulait vendre l’eau à une société hydroélectrique. Bagarre juridique. Le papier de 1448 est valable juridiquement et, en conséquence, l’eau appartient au consortage. Ce qui fait que le consortage vend l’eau qu’il n’utilise pas au barrage de Tseuzier et qui génère des revenus hydroélectriques permettant de payer les rénovations du bisse. C’est un bisse qui est emblématique de l’histoire des bisses du Valais.

Comment a-t-il été sélectionné par la BNS pour figurer sur le billet de 100 francs ?

Malheureusement, personne ne connaît vraiment l’histoire. Tout cela est resté confidentiel, notamment de la part de la BNS. Ce qui est sûr, c’est un magnifique cadeau pour notre région. Un accord de confidentialité a été conclu entre le consortage et la BNS. 

Dépôt du dossier de candidature UNESCO. Des nouvelles à ce sujet ?

On s’est lancé dans l’aventure du Patrimoine immatériel où l’on protège les savoir-faire. On ne protège pas des lieux ou des paysages. On protège l’irrigation traditionnelle dans son ensemble d’où une démarche de plusieurs pays, à savoir la Suisse, la Belgique, la Hollande, l’Italie, l’Autriche, l’Allemagne et la France. Le dossier souhaite protéger trois types de savoir-faire, soit l’irrigation traditionnelle, la construction des bisses et les consortages. Le dépôt du dossier a été effectué en mars 2022 et on attend une réponse en décembre 2023.

Stéphanie 

Comment te sens-tu à la tête d’Anzère Tourisme ?

Anzère est une destination qui est juste magique et extraordinaire. Celui-ci dépend de deux communes, à savoir Ayent et Arbaz. Bien évidemment, Anzère est une destination de montagne qui est surtout connue pour ses activités hivernales, mais qui propose toute l’année une offre touristique très large. Il faut savoir que la commune d’Ayent s’étend d’une altitude de 500 mètres et jusqu’à près de 3000 mètres, du coup l’offre est très diverse. Les produits touristiques sont merveilleux et les personnes avec qui je travaille sont super sympas, me permettant aini de laisser libre-court à mes inspirations. Je suis très heureuse dans mon job. 

Quel type de clientèle touristique, la région d’Anzère attire-t-elle ?

Les résidences secondaires représentent 75 % des lits touristiques sur le territoire d’Ayent, d’Arbaz et d’Anzère. Restent donc, 25% de lits qui sont commercialisés. 35% sont des clients étrangers, notamment des Français, des Anglais, des Belges, des Hollandais, mais aussi issus de pays plus lointains. 65% sont des clients suisses. Ainsi, avec les lits des résidences secondaires, ce sont environ de 90% de clients suisses qui nous honorent de leur présence. 

Pour Anzère Tourisme, les bisses et notamment l’historique bisse d’Ayent représentent-ils une valeur ajoutée pour le tourisme et l’agrotourisme régional ?

L’eau devient de plus en plus en rare et précieuse. Dès lors, il est vrai que l’aspect plus que positif que représentent les bisses et notamment celui d’Ayent suscite clairement un intérêt de plus en plus marqué par les touristes suisses comme étrangers. Le changement climatique et les conflits à travers le monde lié à l’eau sont importants et ne font que commencer. Peut-être qu’inconsciemment les touristes sont attirés par l’eau claire et pure de nos montagnes, ce à travers les randonnées le long des bisses. Le bisse, c’est une entrée positive, surtout lorsque l’on parle de sécheresse, de climat, c’est tout de suite angoissant et négatif. Le bisse c’est une histoire à laquelle tu peux te rattacher, voire ouvrir un débat constructif sur l’eau.  

Est-que les Bisses apportent une clientèle supplémentaire ?

Pas aussi forte qu’on le souhaiterait. Certainement un problème de communication. Le billet de 100 francs suisses a été introduit en 2019. Malheureusement, le COVID est passé par là. Un projet est en cours pour que le Grand Bisse d’Ayent soit mentionné dans le « Grand Tour de Suisse » et j’espère que cela va amener plus de monde à court et moyen terme. Il nous faut accentuer le marketing autour de ce billet de 100 francs suisses.