
Texte de André Bégin et Marie Habre
Le Canada offre à ses entreprises un accès privilégié au marché mondial avec ses quatorze accords de libre-échange bilatéraux et multilatéraux permettant d’accéder à 60% du PIB mondial, bien souvent en franchise de droits de douanes. Parmi les principaux accords multilatéraux conclus par le Canada, rappelons l’accord Canada-Etats-Unis– Mexique (ACEUM), l’accord économique et commercial global (AECG) liant le Canada à l’Union Européenne et ses vingt-sept pays partenaires, et l’accord de partenariat transpacifique global et progressiste (PTPGP). Il ne faudrait pas oublier l’accord de libre-échange entre le Canada et les quatre pays de l’Association européenne de libre-échange (AELE), dont bien sûr la Suisse.
Ce tissu dense d’accords de libre-échange permet donc aux industriels canadiens et aux entreprises étrangères ayant des activités manufacturières au Canada par l’intermédiaire d’une filiale d’avoir accès au marché mondial dans d’excellentes conditions. Pour bénéficier de ces accords de libre-échange, certains souhaiteront s’établir sur le marché étranger convoité en y créant une filiale pour promouvoir et commercialiser directement leurs produits sur le territoire, alors que d’autres opteront pour la conclusion d’accords avec des distributeurs ou des agents commerciaux locaux. S’il opte pour la conclusion d’accords commerciaux, le dirigeant d’entreprise devra être bien au fait de la réglementation portant sur les contrats de distribution et les contrats d’agence commerciale, ainsi que des avantages et inconvénients propres à chaque formule.
CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES
Le concédant canadien, habituellement en position de force à titre d’apporteur des produits, pourra bien souvent exiger lors des négociations que le droit de sa province canadienne d’origine s’applique au contrat. Il devra toutefois s’être assuré au préalable que le droit du pays de domiciliation du futur agent ou distributeur le permette. S’en remettre ainsi au droit canadien présente un intérêt particulier pour le concédant, puisqu’il est généralement moins protecteur du distributeur ou de l’agent que le droit d’autres juridictions, notamment en ce qui concerne l’indemnité qu’il pourrait être en mesure de réclamer en cas de résiliation du contrat. Il convient de souligner à cet égard que les contrats commerciaux sont peu réglementés au Canada, de sorte que le contrat établit en quelque sorte les règles entre les parties.
En fonction de la superficie du pays ou du territoire visé et de ses spécificités régionales, il pourrait s’avérer risqué de concéder l’exclusivité sur l’ensemble du territoire à un seul distributeur ou agent commercial. Le concédant canadien aurait alors intérêt à considérer la conclusion d’accords avec différents acteurs régionaux. A titre illustratif, la distribution d’un produit sera rarement confiée à un distributeur unique sur l’ensemble du territoire de l’Union européenne, alors que chaque marché national présente des caractéristiques propres.
L’entreprise canadienne aura par ailleurs intérêt à réaliser un audit sur les entreprises avec lesquelles elle entend négocier pour s’assurer qu’elles auront les moyens matériels, financiers et techniques pour commercialiser efficacement les produits sur le territoire visé.
LES AVANTAGES ET LES INCONVÉNIENTS DU CONTRAT DE DISTRIBUTION ET DU CONTRAT D’AGENT COMMERCIAL
Au-delà de ces considérations d’ordre général, il est essentiel de bien saisir les particularités du contrat de distribution et du contrat d’agence pour faire un choix stratégique judicieux.

Ainsi, le contrat d’agence permettra au concédant canadien de demeurer maître de sa politique commerciale et d’établir des liens directs avec les clients sur le territoire concerné puisqu’il leur vendra directement ses produits, tout en commissionnant l’agent sur les ventes réalisées. Cela lui permet de mieux contrôler son marché, tant pendant la relation commerciale avec l’agent qu’au terme du contrat, et éventuellement lors de la désignation d’un nouvel agent. Quant au distributeur, il achètera les produits de son cocontractant canadien et les revendra directement en son propre nom à ses clients.
Dans le cadre d’un contrat d’agence, le concédant assume les risques financiers liés notamment aux stocks et aux impayés. Dans un accord de distribution, le distributeur assume ces risques, le concédant n’ayant alors à se soucier que de ses relations avec le distributeur. Dans un cas comme dans l’autre, le concédant canadien aura toutefois intérêt à exiger de son distributeur ou de ses clients sur le territoire des règlements par crédit documentaire. Il est par ailleurs avantageux de faire confirmer par une banque canadienne les crédits documentaires émis, compte tenu de la solidité financière des banques canadiennes et que cela permet alors au bénéficiaire de
s’adresser à la banque canadienne confirmatrice pour obtenir le paiement plutôt qu’à la banque étrangère émettrice.
Les commissions versées à un agent commercial devraient par ailleurs être inférieures à la marge que fera un distributeur. Opter pour un agent devrait donc s’avérer moins onéreux pour l’industriel canadien en ce qui a trait à la rémunération du partenaire commercial, même s’il aura des investissements plus importants à réaliser en ce qui concerne la promotion des produits, ainsi que les frais de gestion des commandes, des livraisons et des retours.
Le concédant devra superviser les activités de son agent commercial, et assurer le suivi des commandes qu’il aura acceptées. Dans le cadre d’un contrat de distribution, il n’aura qu’à gérer sa relation avec le distributeur. Aussi, un contrat d’agence pourrait engendrer plus de risques, car l’agent représentera le fournisseur canadien auprès des clients, et pourra donc avoir le pouvoir de l’engager auprès de ceux-ci. Le distributeur, quant à lui, sera indépendant et ne conclura des ventes qu’en son nom et pour son propre compte.
L’entreprise canadienne aura également intérêt à s’assurer, lors de la mise en place d’un contrat d’agence, que celui-ci soit établi selon certaines normes et conditions permettant d’éviter une requalification en contrat de travail, ce qui pourrait à son tour engendrer des conséquences négatives pour les deux parties en droit social et en droit fiscal.
Dans un cas comme dans l’autre, le concédant impose fréquemment à son partenaire des chiffres d’affaires minima annuels tout en se réservant la possibilité de dénoncer le contrat en cas de non-atteinte des objectifs, particulièrement si une exclusivité territoriale a été accordée à l’agent ou au distributeur. Rappelons par ailleurs qu’en cas de dénonciation du contrat pour non-atteinte des objectifs de ventes, le droit canadien ne devrait pas permettre à l’agent ou au distributeur de réclamer une indemnité, à moins que le contrat le prévoie expressément.
LE CONTENU OBLIGATIONNEL DU CONTRAT D’AGENT COMMERCIAL
Le contrat devra préciser si l’agent se voit reconnaître une exclusivité ou non de représentation des produits du concédant sur le territoire. Le cas échéant, des critères de performance seront habituellement établis, qui peuvent par exemple être liés à des objectifs de vente ou à un nombre minimal de commandes.
Les obligations de l’agent devront être précisées, notamment au titre de la promotion des produits, de la prospection des clients, de son rôle au niveau de la prise des commandes, et des informations qu’il devra fournir à son cocontractant en ce qui a trait à l’état du marché concerné et de la concurrence. Les limites à ses pouvoirs de représentation devront également être strictement énoncées.
Le contrat devra par ailleurs établir le niveau de commission de l’agent sur les ventes réalisées par son intermédiaire.
Le contrat d’agence pourra être à durée déterminée ou indéterminée. Dans un cas comme dans l’autre, les parties devront prévoir les circonstances dans lesquelles l’une ou l’autre des parties pourra dénoncer le contrat et le préavis qui devra alors être donné au cocontractant.
Le concédant pourrait avoir intérêt à qualifier le contrat d’intuitu personae alors même que l’agent serait une personne morale s’il a été amené à contracter avec l’entreprise en raison de la notoriété de ses dirigeants ou actionnaires.
Le contrat devra enfin préciser la loi applicable aux relations entre les parties, et identifier les tribunaux qui auront compétence pour trancher les différends. Les parties pourraient également opter pour soumettre les différends à l’arbitrage.
LE CONTENU OBLIGATIONNEL DU CONTRAT DE DISTRIBUTION
Comme dans le cas du contrat d’agent commercial, le contrat de distribution pourra préciser si le distributeur bénéficiera d’une exclusivité en ce qui a trait à la vente des produits du concédant sur le territoire visé. La définition de critères de performance sera encore là conseillée, pour les raisons ci-haut énoncées.
Le contrat pourra également imposer un certain nombre d’obligations au distributeur, au titre notamment de la promotion des produits sur le marché et de sa participation à des foires commerciales. Le distributeur pourrait par ailleurs se voir imposer l’obligation contractuelle de ne pas commercialiser de produits concurrents.

Le concédant qui souhaiterait imposer au distributeur des prix de revente devra par ailleurs au préalable s’assurer que
les lois locales sur la concurrence le permettent. Les parties devront s’entendre sur les modalités des prises de commandes, les délais de livraison, les modalités de paiement et l’Incoterm applicable au transport des produits.
Le contrat de distribution sera habituellement à durée déterminée, bien que rien n’interdise la conclusion d’un contrat à durée indéterminée. Comme dans le cas du contrat d’agence, le contrat de distribution devra prévoir les circonstances dans lesquelles l’une ou l’autre des parties pourra le dénoncer, le préavis qu’il devra alors donner au cocontractant et, le cas échéant, l’indemnité que le concédant pourrait accepter de verser au distributeur dans de telles circonstances. Le concédant pourrait également avoir intérêt à qualifier le contrat d’intuitu personae s’il était amené à contracter avec le distributeur en raison de la présence de certains acteurs clés au sein de la direction de l’entreprise.
Enfin, le contrat de distribution devra aussi préciser la loi applicable et déterminer les tribunaux ou le tribunal arbitral qui auront compétence pour trancher les différends entre les parties.
CONCLUSION
Le dirigeant d’entreprise canadien a donc à sa disposition différentes options pour établir une présence sur des marchés étrangers, et d’ainsi bénéficier des accords de libre-échange conclus par le Canada. Il pourra établir un réseau de distribution ou d’agents commerciaux, en s’appuyant sur des conseillers juridiques et financiers bien au fait de la situation des marchés concernés et des lois régissant le type de contrat choisi.
ANDRÉ BÉGIN, BIO
André Bégin est avocat au Barreau du Québec depuis 1980, il détient une maîtrise en droit commercial international de l’Université McGill et accompagne depuis le début de sa pratique les entreprises européennes, notamment suisses, sur le marché canadien à titre d’associé du cabinet Lette (Montréal et Toronto).
MARIE HABRE, BIO
Marie Habre, présidente sortante de la Chambre de Commerce Canado-Suisse, est avocate au Barreau du Québec depuis 1998. Elle conseille les entreprises européennes, notamment suisses, dans le cadre de leurs échanges commerciaux et de leurs projets d’implantation et d’acquisitions au Canada. Ils ont participé à titre de conférenciers à de nombreux colloques et ateliers en Europe et au Canada portant sur l’investissement au Canada.